Elle parcourt nos veines, irise nos peaux, habite nos yeux ; elle est tantôt rivière, tantôt glace ; elle traverse le monde et nos corps, elle est partout et de toujours : l’eau. Elle s’infiltre, brise, chute. Elle s’amasse. Lac, mare, étang. Vapeur. Flaque ! Et puis elle dévale. Un jour, c’est la mer. Quand c’est plus grand encore, on dit qu’elle s’appelle l’océan.
L’océan, c’est l’infini. Il nous prolonge et nous dépasse, nous malmène et nous berce. Nous les petits êtres bleus qui avons commencé par nager avant de marcher. Nous qui sommes nés dans l’eau. Nous qui inventons des coquilles de bois et de voiles pour la retrouver et nous y jeter à nouveau. Nous qui rêvons.
Les vagues se poursuivent dans nos têtes. C’est le même mouvement. Nos veines sont les premiers ruisseaux qui mènent à la mer. Nos vaisseaux sanguins. Ils palpitent et notre cerveau est bleu, nos mains regardent depuis les rives et s’y reconnaissent. On ferme les yeux et c’est ce qu’on voit encore : l’eau, l’eau à perte de vue.
Parfois, nos rêves s’absentent. Ils fuient. Je crois qu’ils sont au fond de l’eau. Tout au fond des grandes eaux de l’océan, sous les turquoises, les îles, les navires. Je crois que l’océan, c’est la possibilité des rêves. Qu’il faut continuer de croire à la mer comme on croit aux oracles. Qu’il faut nager encore, naviguer en eaux troubles, accepter la tempête. Je crois à l’orage qui vient nous redire d’où nous sommes. À nous les si petits, les songeurs de la mer endormie.
*Marianne Rötig
*Marianne Rötig a travaillé à la clinique psychiatrique de La Borde puis au Samu Social de Paris. Elle anime des ateliers d’écriture pour La Maison de la Poésie. Son récit, Cargo, paru en 2018 dans la collection « Le Sentiment géographique » aux éditions Gallimard, a reçu le prix Écume de mer. La disparition des rêves (2023) est son premier roman.