Le phare et l’étoile
Chaque soir, une certaine idée de l’Océan faisait irruption dans ma chambre d’enfant. Une fois la lumière éteinte, je regardais passer sur le plafond la griffe lumineuse du phare de l’Île Vierge. Toutes les cinq secondes, le feu s’invitait chez moi.
J’ai souvenir de certains réveils nocturnes après un cauchemar. Les objets mettaient un certain temps à reprendre forme. Il y avait un moment de panique. Et puis le rayon fugace du phare glissait au plafond. Il me rassurait ; j’étais en vie. Il redessinait les contours de la chambre. J’étais bien dans la maison des étés, près de la mer sur laquelle le phare veillait. Il y avait le Fort Cézon, en face, qui se télescopait derrière l’Île Longue, puis les récifs de l’Île Vierge que les braves rejoignaient en kayak à marée haute. Après le phare, je savais que nous quittions les bras rassurants de notre presqu’île. Alors l’océan commençait vraiment. Jamais je ne m’y suis aventuré. Une fois, seulement, je suis allé à Ouessant au cours d’une pénible traversée.
Je me contentais des récits d’aventure en mer de Georges Blond, Victor Hugo ou Claude Farrère que je lisais dans la collection « 15 histoires de ». J’entendais certains cousins évoquer le souvenir des dernières croisières avec mon grand-père. Son bateau mouillait dans un aber. Il le vendit quelques années avant sa mort. Il portait un nom qui rappelait un roman de Mac-Orlan et annonçait l’aurore. Il s’appelait « Étoile matutine ». J’y puisais certains songes. Avec le phare de l’Île Vierge, l’étoile du matin veillait sur des enfants endormis. Les quelques secondes qui rythmaient le passage du feu étaient les cinq coups que l’Océan toquait à la porte de ma chambre.
Pierre Adrian
Pierre Adrian a reçu le prix des Deux‑Magots pour son premier ouvrage, La Piste Pasolini, et le prix Roger-Nimier pour son roman, Des âmes simples. Que reviennent ceux qui sont loin, publié aux Éditions Gallimard en 2022, a été récompensé par le prix Jean-René Huguenin.